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Miam, une forêt comestible !
En résumé
Il faudra attendre des années pour le voir pleinement réalisé mais le projet est lancé : une forêt 100 % comestible, à moins de 15 minutes à vélo de la cathédrale d’Amiens. Un lieu inspirant, ouvert à la promenade et prétexte à de multiples activités sur le thème de l’alimentation.
« C’est la corde qui manquait à mon arc » explique Laure Nicolas, créatrice de l’association De la Graine à l’Assiette (Amiens). « Je milite depuis douze ans pour une alimentation de qualité. L’ennemi, à mes yeux, c’est la consommation aveugle, ne pas se poser de questions sur ce que l’on mange ». Intervenante en milieu scolaire ou auprès de centres sociaux, Laure est allée de surprise en surprise. Des enfants qui ignorent comment pousse un abricot ou ne savent pas de quel animal est issu le steak haché. Des adultes qui reproduisent à la maison les recettes apprises en atelier culinaire, mais qui sont très déçus du résultat. En investiguant, Laure Nicolas comprend qu’ils utilisent des matières premières de moindre qualité. Le goût n’y est pas. « Et si le goût n’y est pas, je ne peux rien transmettre » pense-t-elle. L’étape suivante, dans sa démarche militante, consistait donc à trouver un accès aux produits frais, en grande quantité et à moindre coût. "Je n'avais aucunement l'intention de me substituer aux maraîchers, mais plutôt le souci d'amener des publics vers le monde du maraîchage et de la production alimentaire. Qu'ils voient et comprennent la façon dont fonctionne la nature, qu'ils y prennent goût et qu'ils se lancent à leur tour .Quand j’ai découvert le concept de forêt comestible, cela a été le déclic » se souvient-elle. Beaucoup d’investissement en amont mais peu de travail d’entretien : exactement ce qu’il lui fallait.
La forêt d'Aragone est ouverte au bénévolat !
Envie de donner de votre temps à ce projet ? La Forêt d'Aragone est en quête de bénévoles. Ils sont une soixantaine actuellement, doubler ce nombre serait idéal !
Consulter la galerie de photos du site : donner un coup de main à la forêt, c'est le sourire asuré !
De la Graine à l'AssietteLa plus ancienne forme d’agriculture
Laissez un champ à l’abandon, revenez cent ans plus tard : vous n’en croirez pas vos yeux. Sans aucune intervention humaine, sous la seule action du monde vivant et des éléments naturels, une forêt s’est créée. Ayant atteint son climax, elle s’auto-entretiendra jusqu’à la fin des temps. Le maraîcher anglais Robert Hart a été le premier à imaginer une forêt dont on pourrait manger tous les fruits. Plutôt que de laisser faire la nature, planter des espèces nourricières qui occupent toutes les strates de hauteur, du sol à la canopée. Ce faisant, Robert Hart occidentalisait la plus ancienne forme d’agriculture qui soit. Sous les tropiques, les forêts nourricières sont présentes à toutes les longitudes, depuis des millénaires…
Un mécène providentiel
Comment créer une forêt comestible quand on ne possède pas de terrain ? "Les villes ne mettent pas d'espace à disposition pour ce genre de projets" regrette Laure Nicolas. Il a fallu l’intervention d’un mécène providentiel pour que tout devienne possible. Grégory Sabatier, cadre dans une mutuelle d’assurance santé, revenait d’un long voyage. De ce périple, un rêve est né. « Je voulais créer quelque chose sur une île. C’est en fouillant les petites annonces que je suis tombé ce terrain de l’île de Sainte-Aragone. Ce n’est pas la plage de sable fin que j’imaginais mais mon rêve pouvait se concrétiser, juste en bas de chez moi… ». Un rêve de bric et de broc, à la fois social, environnemental, culturel. Un endroit ouvert à toutes les propositions d’activités créatrices de convivialité, pour peu qu’elles respectent la charte fondatrice : respecter l’humain, prendre soin de la nature. La forêt d’Aragone avait trouvé son berceau.
Depuis, trois autres associations ont investi le terrain de Grégory : Incroyables comestibles (culture de légumes et graines en libre-accès), Elzéard (forêt comestible et serre bois-paille) et le centre hospitalier d’Amiens (jardin thérapeutique). La Protection judiciaire de la Jeunesse devrait également se joindre au lieu, pour créer un jardin potager et fabriquer des passerelles qui relieront les projets entre eux. Par ailleurs, tous les citoyens sont invités à proposer des activités de plein air (cours de musique, théâtre, concert…), pour peu qu’ils se chargent de leur mise en œuvre. Pour contacter l'association des Terrasses du bord de Somme, coordonnatrice du lieu, rejoignez sa page Facebook.
Les militants MAIF de Picardie et des Hauts-de-France ont également apporté leur soutien financier à la forêt d'Aragone. "Nous proposerons d'ailleurs une conférence live cet automne 2021, que l'on pourra suivre sur notre page Facebook" annonce Frédéric Hatif, membre du pôle militant MAIF d'Amiens.
Le saviez-vous ?
En moyenne, 98 % de la nourriture consommée dans les 100 plus grandes aires urbaines de France est importée d’une autre région ou d’un autre pays (source : Utopies). La forêt d’Aragone, à sa façon, milite pour une relocalisation de l'agriculture.
Lire la synthèseUne forêt sucrée
Pratiquement aucun légume ne pousse actuellement en forêt d’Aragone. « Je n’aurais absolument pas le temps de m’en occuper » explique Laure Nicolas. « Mais nous sommes tout à fait prêts à changer d’avis si des bénévoles se déclarent ! Le lieu est conçu pour évoluer, nous ne sommes qu’au début de l’aventure ». La Forêt d’Aragone est donc, pour le moment, une forêt sucrée parsemée d’herbes à tisanes et de plantes aromatiques. « Ma cible première, c’est l’enfance » affirme Laure Nicolas. « Je suis très attachée à l’école dehors, aux classes de plein air. Qu’un enfant puisse voir comment pousse une pomme, ça me réjouit ! La forêt est aussi un lieu ouvert où passer du temps, se promener, photographier. Ce sera un îlot de fraîcheur en cette période de réchauffement climatique. Nous faisons le pari qu’il n’y aura pas de dégradations, que le projet sera expliqué et donc respecté. Car le but c’est d’essaimer. Qu’il y en ait partout dans la ville, dans toutes les villes ! »
« Nous avons planté 230 arbres »
Antoine Alliaume, docteur en biologie, intervenant sur le projet
Quel est votre rôle à la forêt d’Aragone ?
Je dirige la conception, l’aménagement, le choix des plantes, en coconstruction avec les bénévoles de l'association. Quand nous avons pris possession du terrain, il était à l’état de friche. Notre but, consigné dans le cahier des charges du projet, consiste à nous insérer dans le lieu sans le trahir. Trouver l’équilibre entre la nature sauvage qui nous a précédés et ce que nous allions apporter.
Quelles espèces avez-vous plantées ?
Nous avons commencé par désherber, car le terrain était envahi d’orties ! À la main et sans produits chimiques bien sûr. Au sol, nous avons semé une couche herbacée qui fixe l’azote et attire les insectes pollinisateurs. Du trèfle, de la moutarde, de la vesse, de la luzerne, un parterre d'aromatiques… Nous avons laissé des orties, de la consoude ou de la berce, terrain de jeu d’une colonie de papillons que nous ne voulions pas faire fuir. Nous avons planté 230 arbres. Exclusivement des espèces picardes, achetées à un pépiniériste affilié à l’Office français de la biodiversité. Des pommiers, cerisiers, poiriers, pruniers, argousiers… Le Jardin des Plantes d’Amiens nous a également fait quelques dons. Pour chaque espèce, nous avons plusieurs variétés, chacune représentée par un unique spécimen. Le terrain participe ainsi à la conservation de la flore locale. C’est important car 30 % des espèces d’arbres sont menacées de disparition en Europe ! La strate moyenne comporte des arbustes à petits fruits : noisettes, cassis, framboises… Il y a aussi un mur à fraises, fabriqué avec des palettes, ainsi que des kiwis grimpants. La pleine production de fruits est attendue dans cinq ans et le verger aura atteint sa pleine maturité dans 20 ou 30 ans. Nous sommes dans le très long terme !