
Un exercice de crise inédit s’est déroulé dans la communauté d’agglomération...
Agissons ensemble pour le mieux commun
Dans les écoles, Audrey Dussutour est connue pour avoir réussi à mobiliser petits et grands autour d’un organisme unicellulaire qu’elle a surnommé le "blob". Directrice de recherche au CNRS*, elle prend du plaisir à faire découvrir les sciences au plus grand nombre. Son dernier ouvrage nous dévoile le monde terrifiant des champignons tueurs…
Votre spécialité, c’est l’éthologie, l’étude du comportement animal. Alors pourquoi un livre terrifiant sur les champignons ?
Il y a quelques années, avec une collègue, Eniko Csata, j’ai travaillé sur l’effet du parasitisme chez des fourmis infectées par des champignons qui s’attaquent aux insectes. C'était la première fois qu’une forme d'automédication collective était mise en évidence chez les fourmis. Nous avons montré qu’en changeant de nourriture, elles peuvent booster leur système immunitaire et lutter contre cette infection fongique**. Qui sait, pourraient-elles aussi se débarrasser des champignons qui les "zombifie" ? Voilà pourquoi, quand la série The last of us*** a connu le succès, le journaliste Mathieu Vidard m’a suggéré d’écrire un livre sur les champignons parasites pour la collection qu’il dirige…
Comment un champignon peut prendre le contrôle d'une fourmi ? En regardant cette vidéo, vous comprendrez comment le champignon Ophiocordyceps unilateralis a inspiré les créateurs de The last of us, à l'origine un jeu pour PS3, puis une série à succès,
© National Geographic
Pour un hypocondriaque, ce livre serait une bombe ! Vous prenez plaisir à nous effrayer ?
Et encore, je n’ai pas dit combien de champignons nous avons dans nos intestins ou sur la tête (rire) ! Plus que la peur, j’ai cherché à susciter l’intérêt pour ce sujet. Le recours à la fiction donne une légèreté à cette grosse étude bibliographique scientifique : un an et demi pour réunir toutes ces histoires sur les champignons parasites. C’était passionnant. J’ai toujours aimé partager ce que j’apprends. Depuis mon doctorat, je m’efforce d’aller au contact du grand public, en particulier les enfants. C’est mon plaisir, mais c’est aussi une nécessité. Avec les défis futurs liés au réchauffement climatique ou à la pollution, on ne pourra bien décider sans avoir des connaissances en biologie…
Les histoires de champignons que vous nous racontez, que disent-elles de nos sociétés ?
Elles soulignent l’importance de la mondialisation dans ces épidémies. L’humain est toujours responsable de la dissémination des infections fongiques que j’ai décrites dans mon livre. Il faut sensibiliser les gens. Ramener une plante d’un pays étranger, c’est prendre le risque d’introduire chez nous un champignon pathogène qui va décimer des animaux ou des végétaux. La France est le plus grand importateur de plantes, surtout de plantes à fleurs, dans le monde. On importe des végétaux qui viennent de plus de 80 pays différents ! Donc, vraiment, c'est assez catastrophique. Il faut expliquer que les spores des champignons sont microscopiques. A l’origine de l'épidémie qui a ravagé toutes les chauves-souris aux États-Unis, il y a sûrement une spore collée sous une semelle de chaussure. Donc, quand on va dans un milieu naturel et qu'on fait de la randonnée, puis quand on prend l’avion, tout ce que nous avons sous nos chaussures, nous le transférons dans un autre pays si nous ne prenons pas quelques précautions…
Est-ce que ces disséminations de champignons pourraient présenter des risques pour l’homme ?
Un chiffre surprend toujours : dans le monde, chaque année, trois millions de personnes meurent d’infections fongiques... (silence) C'est rarement médiatisé, peu étudié. Et pourtant, nous serions très démunis si des souches résistantes aux antifongiques se développaient. Il faut savoir que les animaux et les champignons sont « cousins », biologiquement proches et donc, pour schématiser, on peut dire que ce qui tue les champignons nous tue aussi… Il a donc fallu agir sur ce qui biologiquement nous différencie : la présence d'une paroi autour des cellules de champignons et le fait qu'ils n'utilisent pas du cholestérol dans leur membrane, mais l'ergostérol. Deux petites différences seulement. C’est pourquoi nous n’avons que trois grandes familles d’antifongiques. Si tous les champignons commencent à développer des résistances, nous serions vite dans la panade ! Par ailleurs, il faut avoir conscience de nos lacunes. Comment des champignons zombifient les insectes ? On ignore presque tout. On sait juste le champignon sécrète beaucoup d'hallucinogènes, des amphétamines, des drogues qui peuvent manipuler le cerveau de l'insecte, mais on ne sait pas comment il s'y prend réellement pour vraiment téléguider la fourmi parasitée. Plus globalement, nous savons peu de choses sur les champignons : il n'y a que 150 000 espèces connues sur les 5 millions d’espèces prédites. Et 5 millions, c'est la frange basse. Donc, on ne connaît quasiment rien. Et puis on s'est beaucoup intéressé aux champignons qu'on mange ou qui vivent en association avec les plantes, mais beaucoup moins aux champignons parasites.
Après nous avoir fait peur avec ces champignons de l’apocalypse, c’est gentil de rappeler qu’il y a aussi des espèces agréables, comme la truffe et le blob...
Le blob, de son vrai nom Physarum polycephalum, n’est pas un champignon ! Ni un animal, ni un végétal, mais un myxomycète rattaché au règne des amœbozoaires ! J’espère que c’est clair pour les 5 000 classes et Thomas Pesquet qui ont participé à l’expérience pédagogique « Élève ton blob » que j’ai animée en 2021. Les enfants ont notamment une fascination pour le blob que je n’explique pas toujours. Sans doute parce que c’est joli, un blob jaune vif, qu’ils peuvent le voir avancer de jour en jour, qu’ils peuvent réaliser des expériences avec lui. Depuis, nous avons lancé un autre projet de science participative consacré à cet organisme et nous avons reçu 48 000 candidatures !
[ NDLR Sur Facebook, le groupe “Élève ton blob, l'expérience éducative de la mission Alpha” a été fermé, mais les échanges passés, toujours en ligne, montrent l’enthousiasme qui a animé cette opération du CNES, animée par Audrey Dussautour. ]
Vous avez adressé un morceau de blob à autant de candidats ?
Nous en avons sélectionné 15 000. Des particuliers, mais aussi des Ehpad, des établissements pénitentiaires, des associations d’anciens traumatisés crâniens… Ils ont reçu chacun quatre blobs. Avec Émilie, une étudiante, il nous a fallu huit mois pour cultiver tous ces organismes ! Grâce à cette mobilisation, nous avons réalisé un vrai travail participatif de recherche, avec des données que nous sommes en train d’analyser actuellement. Vous verrez que c’est un travail très sérieux qui a été réalisé, avec enthousiasme. Par sondage, 90 % de nos participants seraient prêts à poursuivre ces recherches !
La science n’est donc pas le domaine réservé des chercheurs ?
Il y a des domaines, comme celui de la taxonomie, pour lesquels il n’y a plus de recrutement dans nos centres de recherche. Heureusement qu’il y a des non-professionnels qui font un travail admirable ! Pour les blobs, les myxomycètes, la plus grande spécialiste de l'identification des espèces n'est pas une chercheuse professionnelle : elle s'appelle Marianne Meyer et elle a publié les clés de détermination indispensables pour nous aider, nous scientifiques, à différencier les espèces. Regardez aussi en ornithologie : il y a beaucoup de gens amateurs qui adorent les oiseaux, savent les reconnaître, remplissent des fiches et permettent ainsi de suivre les populations de l’avifaune. C'est pour cela que moi aussi j'ai fait un petit détour par les sciences citoyennes et les sciences participatives, convaincue qu'il y a vraiment un souhait des gens de participer à l'effort scientifique. C’est très positif car il faut comprendre le vivant pour mieux le protéger. Et il faut le protéger…
Livres d’Audrey Dussutour en lien avec l’interview : Les champignons de l’apocalypse, Grasset 2025 ; Moi le blob, humenSciences 2022.
* Centre national de la recherche scientifique / ** Causée par les champignons / *** Série apocalyptique américaine où des humains sont zombifiés par des champignons.
« Aujourd’hui le développement des sciences participatives est un fait de société et le combat permanent pour sauver la biodiversité en est imprégné. » Dans leur rapport sur les sciences participatives en 2012, Gilles Bœuf, Yves-Marie Allain et Michel Bouvier prenaient acte d’un phénomène désormais bien ancré dans les pratiques. Si le programme « Derrière le blob, la recherche » d’Audrey Dussutour n’avait pas prévu de perdurer, d’autres s’inscrivent dans la durée comme Spipoll, le suivi des insectes pollinisateurs qui existe depuis 2010. Tous ont en commun de fournir des outils pédagogiques ou pratiques pour favoriser l’adhésion des participants au projet. Même s’il y a plusieurs niveaux, même si certains sont plutôt réservés à des experts ou des professionnels, ils constituent généralement des projets très inclusifs, pour faire adhérer un large public à des programmes de recherche. Et il faut noter que, même en ville, les citadins peuvent contribuer à un inventaire floristique très urbain !
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