MAIF Social Club : à l’écoute des bruissements du monde

 Le métier de curateur d'exposition consiste en fait à raconter une histoire, avec un sens collectif et politique exprimé à travers des œuvres d'art. C'est vraiment comme si on acheminait un discours. La première étape, c'est donc de se poser la question de ce que l'on veut raconter.  AnneSophie* Bérard résume ainsi son rôle de curatrice. Commissaire d’exposition freelance, elle a conçu plusieurs expositions du MAIF Social Club, dont "Le temps qu’il nous faut", dernière en date, qui sera présentée du 30 septembre au 24 février dans notre espace culturel parisien.

Cette fois, le propos repose sur un paradoxe contemporain :  Dans ce XXI^e siècle, nous avons constaté une tension assez forte entre deux aspirations. D’un côté, il y a un désir de remplir sa vie pour qu'elle ait une pertinence, une sensation d'accomplissement. Nous sommes tentés de faire un maximum de choses et de répondre aux nombreuses sollicitations qui nous sont faites de façon permanente. Mais face à ce désir de plein, il y a un besoin de vide qui ne cesse de s'accentuer et qu'on ressent autant à l'échelle intime qu’à l’échelle sociale. Nous le constatons notamment avec l'explosion des burn-outs, avec les phénomènes de quiet quitting, de ralentissements qui ont notamment été amplifiés par le moment du confinement... 

Comme pour les précédentes, l’actualité a donc inspiré cette nouvelle exposition.  L'objectif du MAIF Social Club, c'est de faire des expositions qui parlent vraiment des bruissements du monde , souligne AnneSophie Bérard. C’est pourquoi ce phénomène récent du quiet quitting a été intégré dans le récit de cette exposition :  En français, on parle de démission silencieuse. Cela consiste à travailler le moins possible, juste ce qu’il faut pour conserver son emploi, en évitant tout surinvestissement. C'est vraiment quelque chose qui est apparu en 2021, juste après le confinement. Sans doute parce que cet arrêt imposé par la pandémie nous a interrogés sur la place que nous avons donnée au travail dans nos vies. 

Un récit, trois chansons

Une fois ces fondements posés, AnneSophie a conçu un parcours :  Nous l’avons découpé en un plan : d'abord le ressenti intime, puis l'influence sociétale et enfin le désir pour demain. C'est un découpage qui permet de prendre le public par la main de façon assez naturelle. Sur cette base, l'exposition se découpe en trois temps, chacun avec le nom d'une chanson puisqu'on parle de temps et que nous invitons chacun à se laisser emporter par une mélodie et une cadence.  Cette référence à des chansons populaires a du sens dans un lieu qui vise le "tout public" :  À l'inverse du grand public, où il y a un objectif de masse, le tout public consiste à s'adresser attentivement à chacun, donc de l'enfant, puisque les expositions sont guidées à partir de 3 ans jusqu'à l'amateur, en passant par le professionnel de l'art. C'est un équilibre entre une grande exigence et une grande accessibilité. 

La première partie de l’exposition fait donc référence à Alors on danse, le tube de Stromae :  On s’y pose la question du temps à vivre. Comment parvenir à vivre pleinement notre vie bien que nous ayons conscience, en tant qu'être humain, que notre vie est à la fois comptée, fragile et absurde.  La deuxième partie s'appelle La complainte du progrès, florilège des arts ménagers que Boris Vian chantait jadis à une prénommée Gudule :  Pour cette partie, les artistes ont un ton plus grinçant. On va ici dénoncer l'influence de la société sur la qualité de nos vies, notamment ce rêve de rendement, d'efficacité et de progrès à tout prix.  Enfin, on relâchera la pédale après ce postulat un peu difficile, pour ralentir avec C’est comment qu’on freine ? de Bashung :  Nous ouvrons alors des portes de réflexion pour un temps plus lent, pour savoir comment ralentir. Dans le cas présent, ralentir ne voulant pas dire ni s'éteindre, ni se figer, mais bien au contraire saisir les vertus que peuvent avoir la rêverie, la contemplation, la créativité et le respect des temps naturels. 

Se connecter aux artistes

Une fois ce récit construit, AnneSophie Bérard a cherché les artistes en correspondance :  Chaque commissaire d’exposition a sa méthode, mais moi, peut-être par amour de la littérature, je commence par écrire l'histoire, puis le choix des artistes vient dans un deuxième temps. Un peu comme une boule à facettes qui vient réfléchir la lumière du récit. Grâce aux artistes, le mot, l'idée va prendre de l'ampleur et un rayonnement survient.  Pour "Le temps qu’il nous faut", AnneSophie a sélectionné douze artistes contemporains :  Comme je suis commissaire d’expo depuis une quinzaine d'années, au moment où j'écris mon histoire, certains artistes vont m'apparaître très vite comme une évidence. Je vais me dire : tiens, là c'est l'occasion de travailler avec cette personne… Sinon c'est ma recherche qui va me permettre de contacter des artistes avec qui je n'ai d'ailleurs jamais travaillé. 

Les atouts du MAIF Social Club

Les commissaires d’exposition jouent un rôle important dans l’émergence de nouveaux talents. AnneSophie Bérard en a conscience :  Cela fait partie du métier de curateur, un mot qui vient de curare, prendre soin. Et prendre soin à travers l'art, c'est quelque chose qui fait sens. Pour moi, une des clés de mon métier, c'est de toujours rester ouverte à de nouveaux artistes puisque nous avons cette petite responsabilité et capacité de faire voir leur travail. C’est pourquoi je m'attache à ne pas trop retravailler avec des artistes. Sauf quand bien sûr l'évidence est là, il faut savoir ne pas la contourner, mais sinon c'est toujours le travail de rencontre. Et c'est intéressant de toujours aller voir, à la sortie des écoles, des étudiants qui sont tout juste artistes, qui n'ont pas encore enclenché leur carrière et de pouvoir être solidaire avec eux. Dans mon axe de travail, il y a aussi le fait de montrer des artistes que je vais appeler les "outsiders", qui peuvent être issus de l'art brut ou des makers, d'autres cultures qui frôlent l'art contemporain et n’y sont pas forcément complètement ancrées. 

Une fois un artiste repéré, il reste à le convaincre de participer à une exposition du MAIF Social Club.  Le MAIF Social Club est un lieu qui est très facile à promouvoir auprès des artistes. D’abord parce qu’ils sont très bien accueillis, par des équipes attentives. Ensuite, parce que c’est l’assurance d’une présence du public, avec une médiation d’une grande qualité. Enfin, l’éthique du lieu est irréprochable. Pour ces raisons, j’ai toujours l'impression de proposer un plateau doré à un artiste et il est très rare d’essuyer un refus pour le MAIF Social Club !